L’humanisme radical: voilà l’utopie!

L’utopie n’est donc en son principe qu’un humanisme radical, qui préfère toujours l’homme a tout le reste, assume les hommes tels qu’ils sont, et pousse à ce qu’ils puisse être tout ce qu’ils peuvent être. L’« homme » de l’humanisme est bien tous les hommes. Son postulat est que tous les hommes, quels qu’ils soient, quoi qu’ils fassent, demeurent toujours des hommes. A cet égard, tout doute, toute réticence, tout tri, toute préférence est racisme, même si elle vise des personnes qui se sont distinguées elles-mêmes par des crimes délibérés. Toutes les exceptions que l’on aurait  envie de faire quant à la simple humanité de chaque homme concerneraient nécessairement des hommes dont on aurait envie de dire qu’ils ne sont pas des hommes. Or, telle est précisément la contradiction qui définit le racisme : certains hommes ne sont pas des hommes. L’utopie en est l’exact contraire : postulant l’humanité de tous les hommes, elle ne vise jamais que la réalisation complète de l’idée d’homme.

La liberté définit l’homme par une double égalité, car elle figure en chacun, comme une égalité des possibles, et entre eux, comme une réciprocité de ces égalités. Si les hommes sont libres, tous les possibles sont possibles, et tous les hommes égaux, du simple fait qu’ils sont hommes. L’utopie veut la différence, la liberté qui multiplie l’égalité. Car la liberté est la carte blanche où chacun, écrivant ce qu’il veut, diffère de plus en plus de chaque autre, le point depuis lequel chacun peut s’étendre dans les directions de son choix. Or cette infinie liberté de différer rend les hommes égaux, puisque la distance qui s’accroît entre ceux qui divergent en cultivant leur choix est strictement réciproque. L’égalité n’est pas la mesure exacte des portions congrues, mais la jouissance commune de différences réciproques et fécondes.

extrait de Invitations philosophiques à la pensée du rien, cité en bibliographie

22 thoughts on “L’humanisme radical: voilà l’utopie!

  1. L’égalité n’est pas la mesure exacte des portions congrues, mais la jouissance commune de différences réciproques et fécondes.

    Je suis architecte et je fais mien cet “aphorisme”.

    Toujours est-il , les utopies restent des “constructions” philanthropiques développées comme “alternatives” aux situations d’inégalités constatées ….
    Leur support principal étant l’humanisme, mais trop souvent nous ne décelons qu’une liberté “relative” ?
    Je fais allusion ici aux “utopies” socio-urbaines (celles de Th.More, Fourrier….).

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    1. L’utopie est un acte de, par et pour la liberté
      elle préfère la liberté au succès
      Les utopies dont vous parlez visaient en même temps autre chose
      Une préférence absolue pour la liberté résoud la plupart des problèmes
      en un mot, à la différence de la révolution,
      l’utopie ne s’impose pas

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  2. Le nazisme ne fut-il pas une utopie fondée sur une conception raciale de l’humanité et donc un contre-humanisme ?

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    1. Non: son racisme l’empéchait d’avoir l’universalisme de toutes les utopies. Il n’y a pas d’utopie privée, ou du moins exclusive: je peux rêver d’un bateau pour ma famille, mais non pas qu’il coule tous les autres.

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  3. Il y a une chose qui m’échappe : pourquoi préférer l’homme au reste ? C’est peut-être le seul défaut potentiel de l’humanisme. L’être est-il uniquement humain ? L’utopie ne peut-elle être une sorte de “biotisme”, voire un “omnisme” ? On passe aisément du tout au rien, et ainsi l’utopie redeviendrait conforme à son étymologie : quelque chose qui n’existe nulle-part…
    Je vais essayer de trouver votre livre pour mieux comprendre tout ça.

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    1. C’est un peu le sens de ma question précédente : un contre-humanisme radical n’est-il pas une utopie au même titre que l’humanisme radical ?

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      1. Aucun des scénarios nazis ne peut être présenté comme un monde meilleur, ni un idéal. Ils ne l’ont pas tenté, d’ailleurs, préférant exalter la dureté, par exemple. Les nazis ne relèvent pas du monde, mais du néant. Qui peut contester que leur entreprise était d’abord destruction, et destruction générale?
        Telle est même une des raisons de l’opposition si radicale, et fondamentalement morale que j’établis entre l’être et le néant, ce qui doit être, et la destruction pure.

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      2. Je ne suis pas certain que l’homme soit condition de valeur de tout le reste : il y a peut-être des animaux qui accordent de la valeur aux choses. Toute femelle donne de la valeur à son petit. Voyez les oiseaux jardiniers qui rivalisent de talent pour avoir le plus beau nid.

        Ensuite, je ne suis pas convaincu par l’implication : l’homme est seule condition de valeur de tout le reste, donc l’homme est la seule valeur absolue.
        Si l’homme le plus mauvais du monde définissait une chose connue de lui seul comme la meilleure du monde, deviendrait-il pour autant meilleur que la meilleure chose au monde ?

        J’aime beaucoup l’humanisme, si c’est un respect de l’homme (mais je lui préfèrerais même un “biotisme” ou un “omnisme”), mais pas si c’est un anthropocentrisme : il me semble alors erroné et gênant d’un point de vue éthique.

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        1. Il ne s’agit pas ici de tel ou tel homme
          mais de l’espèce du langage
          qui seul donne de la valeur.
          Je ne crois pas assez en la valeur
          pour lui admettre une autre source.
          Qui d’autre que l’homme peut croire en la valeur qu’il donne?
          Il y a là un cercle, qui est l’homme même.

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      3. «Aucun des scénarios nazis ne peut être présenté comme un monde meilleur»
        J’entends bien, c’est pourquoi je le définissais de contre-humanisme radical en soulignant radical.

        Nous n’avons pas la même définition de l’utopie. La vôtre,si j’ai bien compris, impliquerait la recherche d’un monde meilleur – définition morale. Est-elle la seule la seule définition recevable ?

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      4. Je ne crois pas assez en la valeur pour lui donner l’homme pour seule source.
        D’un point de vue logique, pourquoi ce qui est absurde pour tel homme servant d’exemple serait-il cohérent pour tous les hommes ?
        Il me semble que le langage permet de communiquer la valeur, mais je doute que ce soit le langage qui donne la valeur.
        Dans ma logique, ce sont les sensations et les sentiments qui fondent nos valeurs. Ce qui nous fait du mal prend des valeurs négatives, ce qui nous fait du bien prend des valeurs positives. Bien sûr, il y a des cas plus compliqués. Mais tout être pourvu de capacités sensorielles pourrait alors donner des valeurs.
        Si “croire en” veut dire “avoir confiance en”, alors encore une fois les animaux semblent capables de donner de la valeur. Un chien estime son maître et lui fait confiance, même s’il est mauvais, d’ailleurs, tout comme l’homme.
        Reste à savoir si une pierre est capable de donner de la valeur.

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        1. Je crois que la souffrance des victimes oblige à parler d’un mal objectif.
          La destruction totale, de ce point de vue, est une bonne définition, puisque nul ne peut y être favorable. L’inverse d ‘un tel mal est la création, mais qui crée? encore l’homme, je suis désolé.

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      5. Pardonnez mon obstination, mais je n’ai jamais voulu dire que le bien et le mal étaient irréels : la souffrance est bien réelle, mais ne peut être que subjective. Le subjectif est d’ailleurs peut-être plus réel que l’objectif, car comme vous l’avez laissé entendre à propos des valeurs, qu’est-ce que le réel si n’y a personne pour le percevoir ?
        J’ai toujours eu du mal à me convaincre d’un bien et un mal objectifs, mais ce n’est vraiment pas du nihilisme, puisque cela ne les empêche pas d’exister. La création peut être un mal pour certains, si le fruit en est néfaste pour certains. La destruction peut être un bien, de même. Pour créer une chose il faut souvent en détruire une autre. Tout cela fait partie d’un cycle.
        Mais enfin, il est vrai que dans l’absolu, si on simplifie tout, la création semble meilleure pour tout le monde, puisque sinon, il n’y aurait rien… Donc, pourquoi pas ? Ma
        Bien à vous.

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  4. Merci pour ces réflexions très pertinentes et intéressantes et merci pour votre passage (avec le commentaire qui s’en est suivi) sur mon blog.
    je tâcherais de venir rôder plus régulièrement ici où visiblement y fleurissent quelques belles pensées

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  5. Pourquoi avoir peur des utopies? Ah oui, le nazisme, le communisme… et pas l’économisme? Ne riront-ils pas ceux qui se pencheront demain sur le mythe de la croissance comme fin en soi? Il est un réalisme, un pragmatise qui se complaît à voir ce qui est, seulement ce qui est, car il a trop peur de ce possible en tout homme: ce qui devrait être et la possibilité de le faire advenir.La cause du féminisme, des minorités homosexuelles, des sans-papiers: combats d’arrière-garde à l’humanisme mesquin, homéopathie.

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