Frédéric Worms, Soin et politique, PUF, collection Question de soin, aout 2012, 64p. , 6€
Il y a un point commun entre la santé, l’éducation, la sécurité, et même la perspective d’une justice sociale : elles peuvent être pensées comme des soins. En quelques années, cette notion de soin est devenue le bien commun et suggestif des théories du care, des approches biopolitiques, des éthiques d’autrui et de l’économie des capabilités. Le livre clair et synthétique de Frédéric Worms permet de discerner la diversité des dimensions du soin comme un enjeu proprement politique. Sa thèse est qu’un soin qui ne se saurait pas politique se perdrait aussi sûrement qu’une politique qui oublierait de soigner. Il s’agit donc ici de réorienter les deux plus grands champs de nos pratiques publiques, afin que chacun retrouve son sens dans l’autre. Car le soin ne se réduit pas au secours : il a de multiples dimensions (soutien, travail, solidarité, souci) qui ont chacune une portée ou un sens politique.
1 Le soin est un soutien, et donc bien plus qu’un simple secours. Car, comme l’a si bien montré Simone Weil, le devoir impérieux de répondre à la faim de l’autre est le modèle de tous les devoirs. Une éthique se fonderait donc à la fois sur autrui et sur le soin, dans la nécessaire réponse du soin au besoin. Insensiblement, on passe ainsi de la morale à la politique, qui peut se redéfinir comme « soutien aux soutiens ».
2 Le soin est travail : il dépasse le simple acte moral en s’inscrivant dans la durée et dans la société, comme un pouvoir paradoxal. Car il est à la fois compétence et dévouement, pouvoir exercé et pouvoir subi. Telle est la singularité politique du soin, qui est aussi essentiellement commandement que service.
3 Le soin est solidarité. Car si le soin se fonde sur l’interdépendance des existences en société, il établit aussitôt entre elles une relation d’égalité et de liberté. L’exigence de justice prend donc ici un sens concret et accessible : la solidarité définie comme soutien réciproque.
4 Le soin est souci. Mais le souci qui se sait soin ne se réduit pas plus à la souffrance de l’inquiétude qu’à l’impuissance de l’angoisse : il est souci du monde, écologie, devoir cosmopolitique au sens propre. Un nouveau souci se dessine, qui dépasse en douceur ceux de Sartre et Levinas : il ne s’agit plus de trouver une place dans le monde, mais d’en prendre soin.
Il y a donc dans ce petit livre un platonisme salutaire : en rapprochant le politique et le soin, il vise à rétablir, entre l’idée de politique et l’idée de soin, la connivence, la communauté d’intention, ce sens du commun qu’elles ont en commun, sans lequel elles se réduiraient ou se perdraient.