Tassin: Le maléfice de la vie à plusieurs

Pouvons-nous vivre ensemble ?

 

La politique s’entend souvent définir par la nécessité de vivre ensemble. Mais en sommes-nous tout simplement capables ?

Etienne Tassin propose de prendre au sérieux la question de Merleau-Ponty, qui se demandait s’il n’y avait pas, au fond de nos si fréquentes vicissitudes politiques et sociales, comme un « maléfice de la vie à plusieurs ».

Dans cet ouvrage décapant, la confiance en la politique, et la croyance au pouvoir sont d’emblées mises en doute par des questions aussi lourdes qu’inévitables : les fréquents échecs, parfois horribles, des tentatives politiques ne nous imposent-ils pas de nous demander si en général une politique peut réussir ? Est-il raisonnable d’attendre contre toute attente une amélioration d’une institution comme le gouvernement, qui semble par définition se renouveler périodiquement sur la base de l’échec ?

Mais Etienne Tassin ne se contente pas du constat affligé et affligeant. Tout le livre consiste en une tentative valeureuse et vigoureuse pour reprendre les problèmes contemporains de la gouvernementalité à la lumière de la naissance grecque de la démocratie. Selon l’auteur, les grecs ont parfaitement vu dès l’origine le lien profond, intime et permanent, entre leurs deux plus belles inventions : la tragédie et la démocratie.

Tassin remonte par exemple à l’invention de la justice, telle qu’elle se donne à voir dans l’Orestie d’Eschyle : au premier jugement, les hommes ne peuvent rendre justice, mais doivent la faire, l’inventer, sans du tout savoir ce qu’elle est, et sans le secours des dieux. Comment dès lors croire en ce qui n’est qu’humain, le tirage au sort et les suffrages ?

Peu à peu ce beau livre dénude les contours d’une superbe faiblesse de la politique en démocratie, qui s’origine dans la condition même de l’homme. Les limites de nos politiques s’enracinent dans notre finitude.

Pour autant, il ne s’agit pas plus de désespérer que de cesser d’agir. Le livre s’achève sur la riche diversité des formes et des ressources de la citoyenneté. Tout se passe donc comme si cesser de croire au succès possible de la politique nous élevait, en nous rendant capable d’une action proprement morale, qui est à faire indépendamment de toute perspective, simplement parce qu’elle doit être faite. Mais il faut aussitôt ajouter que c’est toujours à nous d’inventer, sans guide d’aucune sorte, le contenu d’une telle morale. On pourrait donc bien, en lisant Tassin, être au plus près de la fameuse formule de Sartre : agir sans espoir.

 

Lecture de : Etienne Tassin, Le maléfice de la vie à plusieurs, Bayard, sept. 2012, 320 p., 23€.

Jean-Paul Galibert

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