Compte rendu de François Jullien, De l’intime, Loin du bruyant amour, Grasset, fév. 2013, 250 p., 19 €.
Faut-il préférer l’intime à l’amour ?
Faut-il sacrifier aux rites et aux mythes de l’amour, ou bien célébrer cette possibilité douce et neuve que nous offre l’intime ?
L’amour, surtout le vrai, reste un discours, un récit, qui se déroule d’une déclaration à une rupture. Tout semble dit d’emblée dans ce « je t’aime », idéalement réciproque, où chacun définit l’autre comme son objet exclusif. Kant, déjà, ne voyait-il pas dans le mariage un étrange contrat de propriété mutuelle que sa seule réciprocité distinguait de l’esclavage pur et simple ? L’amour est un roman de l’autre au loin, qui échoue bien souvent là où l’intime réussit d’emblée.
Jullien ne signe pas ici un livre contre l’amour, mais sur et pour l’intimité, ce lien perpétuel et pourtant neuf, où s’évanouissent les distances. Car l’intime, c’est là sa magie propre, dissipe les frontières. Dans l’intime le dedans cesse de s’opposer à un dehors, comme quelque ligne de front, séparant à jamais les protagonistes des opérations amoureuses.
Prendre l’intime pour objet, c’est aller, au-delà de l’objet ou même du sujet, vers ce qui dans le sujet, à la fois le lie à l’autre et l’empêche d’être objet. Car l’intime est cette intensité du dedans qui me rend complice du dehors, comme si mes tréfonds rimaient, trouvaient enfin en eux même la voie d’un pair et d’un égal.
Comme on voit, plutôt que d’évincer l’amour, il s’agit plus au fond de donner à la morale son vrai point de départ. En suivant le silence des antiques sur l’intime, le glissement de l’intime depuis Dieu jusqu’à l’homme, la perspective, enfin, de vivre à deux, Jullien donne plus que du vrai : il donne du sens.
Bonjour Jean-Paul,
J’ai lu ce livre et j’ai beaucoup aimé : une vraie matière à penser !
Je suis d’accord avec votre analyse.
J’ajouterai que Jullien insiste sur le fait que l’intime n’est pas tiède (alors qu’on pourrait l’opposer à l’amour brûlant) : il y a un vrai courage à oser l’intime, à oser dissoudre les frontières du soi pour se retrouver dans un dedans partagé. Car avant de partager ce dedans, il faut oser se déposséder de soi, et c’est acte même de courage qui est au fondement de la morale que prétend refonder Jullien…
Qu’en dites-vous ?
A bientôt,
MC
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