Onfray: Abrégé hédoniste

Michel Onfray, Abrégé hédoniste, Librio, sept . 2012, 75 p., 3 €.

 

Peut-on libérer tous les plaisirs ?

 

Les vraies pensées se résument-elles à une idée, ou à un paradoxe ? Heidegger définissait le philosophe comme quelqu’un qui se contente, sa vie durant, de penser une idée. Nietzche a écrit Ecce homo en quinze jours. Onfray a son tour nous donne un abrégé, mais il est paradoxal. Lui qu’on sait si prolixe, et même volubile, nous présente son œuvre, sa pensée, en 70 pages et une idée, l’hédonisme, le parti pris du plaisir. Mais peut-on libérer tous les plaisirs ?

La table des matières signale l’ambition de l’ouvrage : ontologie, psychologie, éthique, esthétique, politique ; il ne s’agit bien de dessiner une philosophie en son entier. Onfray ajoute l’érotique, et la bioéthique, parce que son idée est le plaisir, et son pari l’actualité. Mais il s’agit aussi de pousser un cri d’ensemble, un cri de ralliement, un cri de libération du plaisir. L’hédonisme est une pensée proscrite : Onfray hérite d’un combat.

Sans doute est-ce pourquoi Onfray, qui ne cache pas son matérialisme, n’a pas peur de réduire. Son ontologie, par exemple se réduit à la science, ou presque. On peut dessiner une athéologie capable d’explorer notre lien au cosmos, et même notre « sentiment océanique », mais aller au-delà serait retomber dans les égarements de l’idéalisme, de la métaphysique, voire de la religion, c’est-à-dire cela même qui limite les pensées et les plaisirs. La psychologie d’Onfray se réduit pour l’essentiel aux erreurs de Freud. Il invoque Sartre et Politzer, sans toujours dire les principes qui permettraient de nous comprendre sans psychanalyse. L’éthique se résume au mot de Chamfort : « Jouis et fais jouir, sans faire de mal, ni à toi ni à personne ». Voilà qui est coquin tout en restant bien sage, puisqu’il n’y a pas de bien, et que le plaisir ne peut pas se mélanger au mal. Le plaisir devient le moindre mal possible. On peut même en créer par « prophylaxie d’évitement de déplaisirs ». Au nom de Marcel Duchamp, l’hédonisme d’Onfray voudrait purger l’esthétique de bien des tendances de l’art contemporain : conceptualisme, « égotisme autiste », fétichisation de la marchandise, religion de l’objet trivial, thanatopilie, au profit. Une esthétique cynique devrait en résulter, autour des valeurs de l’immanence, de la chair et de l’ironie, mais aussi de la « valeur intellectuelle ».

L’immense avantage de ces réductions, c’est la libération. Si l’on combat en nous toutes les formes d’interdiction arbitraire, tout le plaisir est possible. L’érotique sera solaire ou ne sera pas. Entendez que toute sexualité non violente est permise, sauf l’amour. Car l’amour, avec son lot de fidélité, de monogamie, de procréation, et même de cohabitation, est une réduction de nos possibilités de plaisir. L’anticléricalisme d’Onfray va jusqu’au couple. Tout est possible, également, en bioéthique, au nom d’un corps post chrétien dépassé par les artefacts. Il suffit qu’il n’y ait ni marchandisation, ni souffrance pour personne.

Mais pour tout libérer, il convient toujours d’interdire ce qui nous opprime, ce qui, dans le cas d’une vie aliénée, peut interdire bien des choses que nous faisons, peut-être même avec plaisir, comme une vie de couple, mon corps tel qu’il est, ou ma libre création, fut-elle hantée par la mort ou le concept.

Onfray est attachant par ses paradoxes. Il pousse un cri de liberté qui ne va pas sans quelques interdits, voire quelques normes. Il propose de commencer l’altruisme par soi-même. Mais pourquoi une pensée serait-elle toute simple ?

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