La lutte des mots

Les gilets jaunes ont mis quelque chose de neuf dans le mot Champs-Elysées. Désormais, l’obscénité de cet étalage de richesse apparaît mieux dans sa précarité, ainsi que dans sa poreuse proximité aux grands lieux de pouvoir. Ce ne sont que des lieux qu’un peuple peut prendre. Non qu’il le veuille ou qu’il le faille, mais il est souvent nécessaire de rappeler que les mots, c’est l’usage, c’est-à-dire le peuple, qui les fait.

C’est la langue qui juge. Voila pourquoi on peut, on doit agir sur le sens des mots.

Tout récemment, après bien d’autres groupes dans le monde, Extinction Rébellion a déposé une autre couche de sens dans le mot « centre commercial », comme Rémi Fraisse a tragiquement laissé de lui, non seulement à Sivens, mais dans le mot « barrage », et dans le mot « gendarmerie ».

C’est dans les mots que nous jugeons. Voila pourquoi peser sur le sens des mots déplace les jugements, les accords possibles sur les choix, et donc les grandes décisions politiques.

En ces temps si lassants de domination si planétaire du capital, toujours plus mesquinement antisociale ; en ces temps si lassants de désunion, de désillusion et de découragement de tant d’alternatives, il est réconfortant d’imaginer que couve, que rampe une sorte de grande victoire sur bien des mots. Le pouvoir, la phallocratie, le capitalisme, la consommation, se portent bien, certes, mais les mots pour les dire fléchissent, au point qu’il est déjà difficile de les prôner explicitement.

Peut-être sommes nous plus actifs, plus efficaces, et plus victorieux que nous le pensons.

36 thoughts on “La lutte des mots

    1. Tout est toujours en jeu, en effet.
      Ceci étant, je pense que le mot “manifestation”
      a plus été abîmé par une bonne décennie de surdité gouvernementale.
      N’est-ce pas d’abord cela qui conduit aux débordements que nous connaissons?

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      1. Il n’y a pas de violence gratuite, toute violence à une cause, même la plus abjecte des violences, il n’y a qu’à s’intéresser au passé et surtout à l’enfance (période fondatrice de la personnalité) des plus grands psychopathes pour s’en rendre compte. Est-ce à dire que la violence est légitime comme vous le prétendez ? Je ne crois pas. Nous avons tous notre libre arbitre, toutes les victimes de violence ne deviennent pas violents en retour, (Freud, ou un de ses disciple, appelait le fait de reproduire sur autrui la violence qu’on a subit le mécanisme de l’identification à l’agresseur), ils restent dignes.

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              1. Tu présentes les choses comme si il n’y avait pas d’autre alternative à la violence, que puisque le gouvernement prenait de mauvaises décisions, elle apparaissait, bref que le gouvernement est responsable de la violence, mais gilet jaune ou pas, nous sommes des individus libres, pour le meilleur, lutter pacifiquement et pour le pire, casser. Quand j’ai ce débat avec d’autres personnes assez rapidement on me rétorque que la révolution française ne s’est pas faite dans la dentelle, qu’il y a eu des têtes coupées, mais est-ce que ces exactions ont été profitable à la république ? On a bien vu les années qui l’on suivi avec le retour de systèmes autoritaires et on le voit encore aujourd’hui, c’est pas les gj qui me contredirons, que la France est encore minée par une classe dirigeante qui a tendance à mépriser les petits. Macron ne fait pas exception, Une gare c’est un endroit… Tu connais sans doute la suite.

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  1. Bon jour,
    “la lutte des mots ” ou changement du visage des mots ? Les mots ne se laissent pas enfermés … le contenant a un autre goût … et en cela rien de nouveau… et cela me fait penser à cette fonction : “gardien de la paix” …où est-il ?
    Max-Louis

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  2. Les dictateurs connaissent tous la force des mots, la preuve en est les destructions de livres, vecteurs d’idées ou d’opinions, qu’ils ont régulièrement organisée tout au long de l’histoire humaine.
    Le pouvoir des mots lorsqu’il est nié conduit aux dérives que l’on subit aujourd’hui. Les dégradations publiques semblent être le seul moyen que les gens ont de montrer la dégradation de leur vie quotidienne. Les injures échangées sur les réseaux sociaux sont un autre signe de cette dégradation des relations entre les « humains » qui portent de plus en plus mal ce nom générique. Plus nous avançons dans la connaissance, plus nous oublions les leçons du passé et plus nous nous auto-détruisons.
    Pourtant il y aurait tant de mots positifs à partager, alors que notre quotidien est submergé de mots violents et destructeurs !

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  3. Oui, comme la locomotive demeure, pour les cinéphiles, « La Bête humaine », ou l’antisémitisme, pour les lecteurs (pas forcément les cinéphiles !), le « J’Accuse » de Zola.

    Les « Gilets jaunes » resteront, malgré tous leurs contempteurs – qui n’ont sans doute jamais eu à souffrir de « fins de mois difficiles » ou de situations professionnelles précaires – un symbole de la résistance populaire au pouvoir absolu du libéralisme triomphant, sans complexe et sans remords pour les blessés à vie et même tués lors de leurs manifestations.

    Lire le “roman” de David Dufresne, “Dernière sommation”, chez Grasset (octobre 2019).

    Les LBD40, armes de guerre, utilisées par un seul pays européen – la France – représentent la manière dont on « maintient l’ordre » dans notre beau pays, et comment on répond à l’expression de revendications sociales et humaines : pouvoir d’achat, pouvoir de circuler, de manifester, pouvoir de vivre.

    L’immolation récente par le feu d’un étudiant à Lyon, au nom de la précarité existante dans le milieu universitaire, est même niée, par les tenants du pouvoir en place, comme « acte politique »… alors que ce geste désespéré (expliqué par une longue lettre) est son signe éclatant et horrible adressé à une caste (Blanquer s’est-il rendu devant le CROUS ?) sûre de son bon droit et assise tranquillement sur ses privilèges.

    Le pouvoir des mots est grand : leur utilisation demande du respect et du soin. Sartre l’a connu, on regrette son absence en ces jours.

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  4. La possibilité de disserter sur l’évolution du sens des mots, le contenu qu’embarquent les quelques lettres qui les composent est un luxe que ne peuvent s’offrir qu’une minorité d’humains aujourd’hui. La liberté d’expression, de conscience, le fait d’être reconnu comme légitime en revendiquant son droit au bonheur sont de précieux trésors qui sont aujourd’hui partagés par si peu ! De façon plus terre à terre, le droit à l’éducation, à la santé, à la culture, aux aides de différentes natures mettent la France en situation de quasi exception dans le monde. Malgré tout, les gilets jaunes ont décidé de casser cet équilibre. La révolution plutôt que l’évolution. Il faut désormais se poser la question du sens qu’embarque le mot « renvendication ». Si j’en crois celles des gilets jaunes (essence moins cher et préservation du climat, moins d’impôts et plus de prestation, moins de cotisation et départ à la retraite à 60 ans…) on est plus près de « n’importe quoi » que du projet de société. A moins que ceux qui « excitent ces farouches bras des gilets jaunes gendarmicides en criant hip hip hip hourra » ne veuillent mettre à terre notre société pour un système dans lequel on sera obligé de dire qu’on est en démocratie. À ce moment le mot « démocratie » voudra dire le contraire de ce qu’il dit aujourd’hui et « revendication » ne voudra plus rien dire puisque plus personne ne pourra en exprimer.

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  5. Quant à la fonction, au pouvoir des mots, du langage : quels nouveaux concepts ?
    Ce que me semble indiquer le mode atypique de protestation (gilets jaunes) non réductible à sa manifestation, c’est le désarroi créé par l’obsolescence du discours historique religieux et politique/révolutionnaire.
    C’est le contenu du discours essentiel, tragique, qui me paraît devoir être redéfini.
    *cf. essai > le-blog-de-jean-pierre.com (WordPress) (le blog des problématiques) sur la question des gilets jaunes.

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