Imprésence 2 : le portable comme promesse d’imprésence

Philosophie magazineconsacre ce mois-ci un dossier au téléphone portable, autour d’une question inquiète : cet objet vous veut-il du bien ?

Les réponses des philosophes consultés s’étagent entre l’évidence d’un gain et l’inévidence d’une perte, comme si l’on voyait toujours mieux ce qu’il nous apporte que ce qu’il nous prend.

Déjà, ce qu’il est pose problème : est-il cet « objet absolu » dont parle Ferraris, qui résumerait toutes les machines, ou cet « animal totem » qu’évoque Lacroix ? une même fascination pourrait-elle être à la fois ultramoderne et archaïque ?

Ce que l’on en fait n’est pas plus clair : représente-t-il un « bavardage inutile (Dastur) « des quantité impressionnantes d’heures perdues pour mon plus grand plaisir » (Perry), ou bien une sorte de sécularisation de la prière des hommes entre eux, après la mort de Dieu (Nancy) ?

A partir de cet état des lieux suggestif, deux questions, au demeurant fort liées, nous semblent à creuser désormais: celle des degrés de présence et celle du temps.

Pourquoi ne pas partir du plus simple et du plus certain: quoique nous en fassions, le portable nous prend du temps. Et comme un portable n’est jamais éteint, il est cet objet défini par ce projet étrange, et paradoxalement consenti, de nous prendre tout notre temps. Mais si la totalité de notre temps est notre existence elle-même, quel gain pourrait-il compenser une telle perte, ou une telle mise ?

Quel est donc ce « plus grand plaisir » dont parle Perry ? Contre quoi exactement acceptons-nous d’échanger la possibilité d’une quasi-présence partout au prix constant d’une imprésence, où que nous allions ? Quelle est cette réalité qui nous fait accepter de consacrer tout notre temps à ne jamais plus être totalement là où nous sommes ?

Qu’importe, au fond, que je n’ai point de place ? Je ne suis pas qu’ici, puisque je sens, dans ma poche, tout contre mon corps, tous les ailleurs.

Le fait est là, massif : nous sommes tous prêts à donner tout notre temps pour être absents, ou du moins pour pouvoir entretenir toujours, par rapport à ce qui se présente, cette délicieuse et fallacieuse distance que je nomme imprésence.

24 thoughts on “Imprésence 2 : le portable comme promesse d’imprésence

  1. J’attendais votre deuxième volet pour savoir où vous alliez en venir, tant le suspense a été entretenu…
    On peut opter pour une “morale” par provision et se replier sur deux aspects essentiels :
    – l’usage qui est fait de l’objet
    – La dimension affective, terrain sur lequel votre dialectique du sacrifice de la présence sur l’autel d’une imprésence hypermoderne pourrait s’avérer fertile…

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  2. Une scène vécue : je me trouve dans une pièce avec des personnes que je connais, que apprécie, et les deux tiers de cet assemblée, plutôt que d’échanger avec les êtres justement présents, au sens le plus commun du terme, choisissent de pianoter sur leur portable… petit moment d’angoisse…

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  3. En ce qui me concerne, je ferme souvent mon portable (la nuit, systématiquement et dans la journée, parfois) ou je le mets sur messagerie. Je me suis souvent demandée pourquoi les personnes semblaient si accro à leur portable et j’ai l’impression que ça a un lien avec leur égo(centrisme) et la dimension ludique de l’objet.

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  4. objet qui met à distance lorsqu’il est éteint. mais allumé ? c’est la trace, qu’on reçoit et envoie, cette présence intouchable, est elle la pensée ? le souvenir de soi aux autres, le souvenir des autres à soi ?
    la trace, le traçage, enregistré et disponible aux services institutionnels si besoin est. la présence “déportable”, traçable, l’ombre nous quitte, est dérobée.
    que reste t il quand cet objet est éteint? à contrario, allumé et pret à vibrer , à sonailler ?
    l’attente ? ou le qui-vive. l’insomnie de la présence.
    un objet inutile porté au nue par la vente et le profit ? le consonnateur attaché à sa présence, mais “saches que tu mourras un jour” pourrait nous dire la sonnerie, remember !
    le lien est il essentiel à l’être ? quel est l’être qui ne se lierai pas à l’autre pour marqué sa présence ?
    l’angoisse de la disparition , du non être ? vide dans sa tête, la mémoire vaque à ces occupations sur portable, le transfert.
    pathologie
    le transfert de soi à un objet, je suis l’être inerte qui marque ta présence au monde ? une épitaphe ?
    “leur portable n’a plus donné signe de vie depuis telle date … “, ça en serait presque risible ?
    non, c’est de la réalité. qu’un protable ne réponde pas, qu’il soit éteint, qu’il ne sonne plus, on taxe son propriétaire de mort mais pourtant bien quelque part , qu’est il arrivé à son portable ? présence de la vie, mais juste présence de la présence, il est. mais qu’il soit éteint, il n’est pas, il n’est plus. il n’y a plus qu’à faire le deuil.ce qui nous relie, religere …
    mais ce serait comme un marin mort en mer.
    le problème d’identité aussi, d’identification, de sécurité, il est la présence mais aussi présence menacée concentré de soi, objet oedipien ?, objet “diabolique”, “diabolos” (qui désunit, inspire la haine ou l’envie) … ?il vole l’être de son proprio, on voit les gens mais ils sont ailleurs, “présents, ils sont absents”

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    1. Je crois que même éteint, il reste du possible.
      C’est en ce sens qu’il n’est jamais éteint
      et qu’il ouvre perpétuellement, dans le monde,
      la fenêtre de ses possibles,
      comme autant de départs immobiles:
      Le portable c’est pour bouger quand on ne bouge pas
      c’est la présence-même qui s’absente

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  5. Le portable comme nouvelle norme sociale conduit l’humanité à une sorte de “fétichisme chronophage”, un amour artificiel et sans limites pour la technologie. Ah! si nous étions tous “télépathes”, la vie serait toute autre, ainsi nous pourrions discuter avec nos proches, le cosmos… Dieu en ligne directe… le portable n’est peut-être que la matérialisation d’un désir profond de communiquer à distance? M’enfin, à défaut de développer nos facultés mentales “naturelles”, nous implanteront bientôt des puces électroniques dans nos cerveaux pour ce faire. En attendant que les esclaves du consumérisme dépensent leur temps en de vaines activités pour payer leur objet fétiche pour le plus grand bonheur de “Big Brother”. Finalement, l’imprésence est une forme d’invisibilité! Me trompe-je?

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      1. L’invisibilité de quelque chose d’existant comme Big Brother m’est apparu comme une forme d’imprésence dans le sens où la très grande majorité d’utilisateurs de portables oublient que Big Brother existe sans s’en soucier par ailleurs puisqu’ils ne se sentent pas concerner. Le défaut d’une présence est peut-être une réalité cachée, voir ignorée.
        Pour finir ce petit com sur une note positive en matière d’imprésence, autant ne pas posséder de portable.

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  6. Je pense que l’avancement de la technologie est une bonne chose, car elle nous facilite la vie et rend bien des service telle que de sauver une vie de exemple cela se jouant souvent à la minute prés.
    Le problème vient de l’Homme qui en fait un usage démesuré, s’infligeant une dépendance avec cette petite chose. Celle-ci le sécurise, cela j’en suis certaine mais hélas aussi l’emprisonne et l’angoisse aussi, donne l’impression de gérer ses peurs.
    Hélas de ce comportement, nous en arrivons à un isolement par manque de communication, de partage avec notre environnement proche et donc d’approfondissement du dialogue avec les conséquences que nous pouvons deviner.
    Ceci reflète notre société, tout, tout de suite et vite !
    Ne pas en avoir actuellement c’est être hors norme, il y a donc une pression sociale, votre employeur lui-même vous fait entendre qu’il doit pouvoir vous joindre à toute instant, mais où est donc votre liberté de choisir dans tout ceci ? !
    Je dirais après analyse, c’est notre société de consommation qui nous a mis dans cet état de dépendance, cela au non d’un besoin, qui en réalité cache de gros enjeux financiers.
    Qu’en pensez-vous Mr Galibert ?

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      1. A cela je répondrai, il prends le temps que l’on veut bien lui donner, ceci de par l’attente et l’importance qu’on lui consacre.
        A mon sens le portable est une présence sans en être une, il donne le sentiment d’être toujours lier aux autres, instantanément, c’est donc rassurant. Précédemment vous aviez travaillé sur l’ordinateur, c’est exactement le même cas de figure.
        A nous de savoir l’utiliser convenablement pauvre mortel que nous sommes….

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  7. Le portable est le fétiche de notre société. C’est un objet ostentatoire, un objet de puissance, de “branchitude”, une extension de soi pour se sentir plus beau, plus intéressant. Il est comme une mini-voiture pour les hommes, un bijou pour les femmes. La présence humaine est comme absorbée par lui, elle disparaît devant ce petit objet vampirique qui attire toute l’attention. Le portable est l’imprésence, l’antithèse de la “réelle présence” de George Steiner.

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