La publicité nous rend-elle suicidaires?

“Dans une pub, tout est idéal. C’est le règne absolu du positif : en dehors du problème à résoudre, tout est toujours parfait. Donc rien n’est plus violent que la publicité, parce que, d’une part, vous sentez bien que vous n’avez aucune place dans ce monde parfait, que vous êtes aussi incapable d’y accéder que d’y survivre, alors que, d’autre part, ce même monde vous est présenté comme le monde de l’existence véritable. Le paradis existe : elle vous le montre, mais en vous faisant bien comprendre que vous n’irez jamais. Lorsque la pub vous a bien plongé dans ce désespoir, elle dispense sa bonne nouvelle, car vous avez par miracle une dernière chance : il suffit justement d’acheter le produit qu’elle vous propose.

Pourquoi, au fond, la publicité ? Comment peut-on espérer vous faire obéir à un ordre d’achat concernant une marchandise ? Suffit-il de vous séduire ou faut-il vous menacer ? Mais vous menacer de quoi ? Qu’y aurait-il de si terrible à rester comme vous êtes, si vous refusiez d’acheter ? La publicité ne peut vous inciter à exister vraiment, par l’achat de son produit, qu’en vous montrant que votre existence n’est pas véritable. La publicité vous montre en permanence que votre vie, telle qu’elle est, ne mérite pas d’être vécue. Le commandement publicitaire commence nécessairement par installer implicitement une menace suicidaire. Comment ? Par le spectacle du luxe, de la beauté, de la jeunesse.

Pourquoi les mannequins de nos publicités sont-ils si beaux ? Pour vous faire vous trouver moches, et présenter leur marchandise comme votre dernière chance d’être comme eux. Pourquoi ont-ils si souvent le même âge ? Pour souligner que vous êtes encore trop jeunes, ou déjà trop vieux pour exister vraiment. Si vous voulez vivre, malgré votre âge, votre laideur, votre embonpoint, tous vos problèmes, achetez ceci, payez et tentez de ressembler à ceux qui existent vraiment. C’est votre dernière chance.

L’invitation au suicide de la publicité a l’avantage d’être socialement sélective, car, pour ceux qui ont les moyens, elle fonctionne bien comme un ordre d’achat désespéré, mais pour ceux qui sont trop pauvres, elle fonctionne comme le spectacle permanent de l’existence qui leur est refusée, et donc une incitation permanente au suicide. La seule manière, pour les pauvres d’échapper au suicide, ou aux dépendances suicidaires, consiste à tomber dans la spirale du spectacle suicideur, qui se donne comme l’oubli des frustrations, le divertissement universel, alors qu’il est au contraire la vitrine absolue de toutes les richesses, de tous les pouvoirs et de toutes les jouissances extatiques de la série télévisée, cette publicité rendue permanente par la télévision.

Le sens ultime de la violence publicitaire est donc celui d’un braquage : « Payez, ou suicidez-vous » ; toutes les portes sont payantes, et donc interdites aux pauvres. Payez ou mourrez, pauvres mortels. Même les magasins le disent : les bas de vitrines des magasins de chaussures ont des miroirs inclinés, qui vous obligent à comparer vos chaussures à celles de la vitrine. Entrez et payez, sinon dégagez pauvres clochards, avec vos grolles pourries. Allez crever plus loin.”

Ce texte est un extrait de Suicide et sacrifice, de Jean-Paul Galibert. Ce livre va paraître aux éditions Lignes, le 24 novembre.

37 thoughts on “La publicité nous rend-elle suicidaires?

  1. De quel suicide parlez vous ? Du suicide dans son sens premier, ou bien celui de l’abandon de sa singularité, de son identité propre pour correspondre aux normes dictées par les publicités, et la société de consommation ?

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    1. Je parle du suicide au sens propre. Mais notre rapport le plus courant au suicide est l’état de suicidaire, l’état de tous ceux qui pensent à la mort. Etat aussi désagréable pour nous qu’hautement rentable pour ceux qui nous y poussent, voire nous y maintiennent.

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  2. La publicité réduit nécessairement l’humain à l’état de besoin, à ses imperfections. Elle anéantit les plus pauvres et appauvrit spirituellement les plus aisés.

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  3. Merci pour cet extrait. Quand je vois la publicité à la TV, je suis tellement consciente de leur vrai message caché que j’ai envie de vomir. Quand on analyse leurs messages comme vous le faites, cela fait vraiment peur de se dire que l’on nous respecte pas en tant qu’individu pourvu d’une conscience, d’un cœur, mais pourvu d’un portefeuille (quand on en a un !). Quelle “drôle” de société… ça ne pourra pas durer bien longtemps tout ça…

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  4. i am graphic advertiser… and think you are right. the materialism is death because we are energy, so those living outside-in instead inside-out, are already death and seeking their fisical death with plastics and junk food and others.

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  5. De hecho a las mujeres de mi edad (incluso antes), 50 años, la publicidad nos suicida. Vivimos marginadas como tantos otros seres. Es duro, cruel, despiadado.

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  6. J’aime bien cet article car je trouve trop souvent les pubs soient relativement sexiste, soit carrément où elles ne doivent pas être. J’aime quand vous dites: a publicité a l’avantage d’être socialement sélective. C’est un peu mon avis également.

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  7. Un zeste de provocation et d’exagération ne nuit pas à celui qui veut ramener la PUB – quant bien même un spot de 10 secondes à heure de grand écoute permettrait-il de faire vivre toute une communauté du tiers monde pendant une année – à ce qu’elle est vraiment … A savoir une marchande à son étal qui crie ” Elle est belle ma romaine ” …
    Miroir aux alouettes auquel se laisse prendre qui veut bien ou qui n’a pas été éduqué à se poser les bonnes questions.

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  8. Je pense toujours à la sociologie, c’est sûr qu’il faut montrer un monde parfait où une personne, l’acheteur, souhaite vivre, sinon elle n’existe pas, car dans la sociologie existe une personne dans le regard des autres. On existe dans un groupe, mais pas seul, pour un philosophe ça doit être différent. Bien sûr que “le suicide” fait partie de cette publicité, on peut exister grâce à ce monde fictif, ou bien cette technologie qui nous permettre d’être liés à ce monde ainsi parfait. L’aliénation est un phénomène actuel, notre société demande à nous de s’adapter au groupe. Mais pour les personnes aliénées, comment faire s’il n’existe pas une place pour elles ? Même la publicité exclut ces personnes…

    Mais ce n’est qu’un réflexion…

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  9. Devant ton bel écran de rêve
    Tu marches. Tu crèves.
    L’argent, le confort
    Tu te crois vivant. T’es déjà mort

    L’absurdité de notre monde basé sur la normalité de la majorité est une véritable horreur pour qui ne s’adapte pas. La publicité est la face illusoire de l’iceberg industriel et capitaliste. Tout cela mène évidemment au suicide planétaire.

    Voici une vidéo de Mr Mondialisation posté aujourd’hui sur You Tube sur le sujet de la publicité. Cela en dit long sur le conditionnement. Bon visionnage.

    Bonsoir à tous.

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  10. Votre article est excellent et d’une grande pertinence. Mais toute notre société de consommation ne fonctionne-t-elle pas à l’image de la pub ?
    Ma solution est très simple, je ne la regarde pas 😀

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    1. Je te retrouve ici chère Elisabeth (certes un an après…) 🙂 Quelle belle communauté que wordpress ! Et je suis d’accord avec toi, toute notre société fonctionne à l’image de la pub, nous sommes tous des forteresses vivantes assiégées. Si on avait montré des images de notre monde actuel à des hommes du passé (mon côté fan de science-fiction, ça 😉 ), il y a fort à parier que ça en aurait atterré plus d’un mais de nos jours on ne s’en rend plus compte…

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      1. Oui, quelle belle communauté, j’ignorais que tu fréquentais ce blog, Biancat. J’adore ta métaphore “des forteresses vivantes assiégées”. Je ne sais pas si tu as vu la vidéo où on filme une tribu indienne, à qui on montre les images de notre monde et leur effarement devant tant d’absurdités…
        Seule la voix de Maria Callas les émeut aux larmes…

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        1. Je viens d’arriver en fait, parce que notre hôte a eu la gentillesse de s’abonner à mon blog du coup je suis venue voir 🙂 Et oui, j’ai vu cette vidéo, c’est pour ça aussi que j’aime bien regarder des émissions comme ‘Rendez-vous en terre inconnue’ parce que ça nous remet les idées en place sur nos modes de vie. Des claques salutaires parfois.

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  11. Bonjour Jean Paul
    C’est un peu de rêve dont nous savons très bien qu’il est loin de la réalité . la publicité c’est le mensonge permanent qui vous fait croire que vous pouvez acheter le rêve inaccessible , mais vous n’en avez pas les moyens financiers ; alors rêvons , le reste n’est qu’illusion
    Cordialement
    Bonne journée

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  12. La pub peut autant faire peur que faire sourire.
    Je souris en voyant pour quoi ou qui “ils” aimeraient me prendre et j’ai peur en me disant qu’ “ils” trouvent hélas des “victimes”.
    Je trouve que tout cela va de paire avec les programmes de télé réalité. Je trouve ça presque insultant de vouloir nous embobiner ainsi. Est-ce moi qui me démarque ou est-ce le monde qui va dans le sens inverse? Qu’importe, l’important est de savoir où l’on veut aller 🙂

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  13. Un minuto de anuncio durante el Super Bowl cuesta siete millones de dóares, y aún así, es un gran negocio para quien lo paga.
    Roddy Piper protagonizó en 1988 la película “They Live”. En este film, una raza invasora intenta dominar a los humanos por medio de mensajes subliminales. Es una cinta de ficción y horror, pero muy interesante en su esencia.

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  14. Bonjour,

    La pub est une des expressions du projet politique du monde: consommons mes frères et mes sœurs !
    Le Temple a disparu et les marchands prospèrent, leur arme de dissuasion massive c’est la pub. Des centres commerciaux sont maintenant ouverts le dimanche, car c’est l’indice à la consommation qui exprime la santé de notre pays.
    Mais l’occident “confit dans la graisse et le sucre” résiste, courageusement nous collons des étiquettes sur nos boites aux lettres: ” Stop Pub”.

    Cordialement François

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  15. Il n’y a pas si longtemps, souvenez vous, le siècle des Lumières…Nos philosophes de tout temps ont essayé, afin d’ “améliorer” et de comprendre notre monde d’élaborer des systèmes de pensées, des modèles, auxquels il est nécessaire de se référer pour être digne intellectuellement de vivre en société. A tel point que l’on fait ingurgiter ces modèles de société, de famille, d’éducation, à l’école, par heure entière passée à transmettre des formes de raisonnement élaborées de toute pièce par des individus sur la base d’observations qui leur sont propres en fonction de leur monde de référence, à être obligé de les apprendre pour les recracher par la suite sur des copies dans l’espoir d’obtenir le saint graal qui nous fera rentrer dans la “vraie” vie. J’ai subit à l’époque ce matraquage, persuadée du bien fondé de ces modèles absolument hors d’atteinte. J’ai heureusement grandit ailleurs, avec d’autres repères, et, pour moi et ça n’engage que moi, je n’en ferai jamais une vérité, ce sont là les fondements sur lesquels se vautrent d’autres forme de manipulation. Mais lorsque l’on possède une véritable aisance dans l’art du libre arbitre, nous vivons tout cela non pas comme une ingérence, mais comme un élément de notre environnement dans lequel on y ira prendre ce qui nous nourris et nous permet de cultiver notre zone de confort puis nous ignorons simplement le reste. La seule forme de suicide aujourd’hui c’est de prendre pour argent comptant toutes les informations quelqu’elles soient d’où qu’elles viennent qui arrivent à nous. La publicité, ce n’est que le la partie immergée de l’iceberg…

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  16. si elle nous pousse pas au suicide, elle nous amène sur ses rives, comme l’information véhiculée par les médias, la plupart du temps… la société de consommation s’accommode de l’anxiété… une personne heureuse n’a besoin de pas grand chose… voire de rien… oserais-je ce mot? toutes les “mauvaises” nouvelles et cette impuissance à rentrer dans aucun des moules proposés si pernicieusement réveillent la peur… arrivons-nous enfin au bout de ce mauvais rêve? (je ne parle évidemment pas du fantasme en vogue en ce moment…) merci pour votre réflexion…

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  17. Excellente votre réflexion sur la publicité qui ma permise de tilter intuitivement sur une autre que je m’empresse de partager.
    Le fait que la publicité s’impose a nous comme une évidence c’est que peut-être pour nous montrer du doigt un manque ??
    Le fait de s’interdire de rêver par exemple en permanence on attire un substitut à soi qui nous rappel inconsciemment sous de nombreuses métaphores incitatives cette part de créativité magique auquel on se défend d’appartenir ?

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  18. Bonsoir.Bien que nous nous en défendions, nous sommes plus ou moins propulsés vers ce qui n’est pas indispensable à notre vie.Je me demande pourquoi nous ne pouvons par vivre autrement.Le fait de cliquer sur le clavier d’un ordinateur démontre que nous avançons avec les autres tels des moutons.Bien sur chacun de nous va revendiquer sa liberté de penser,son libre arbitre comme un voile qui serait unique,autre.Hors nous sommes des buvards sinon cher Jean Paul nous en serions aux balbutiements de l’ère préhistorique.

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  19. Bonjour Jean Paul, @ les Autres,

    ”Si vous voulez vivre, malgré votre âge, votre laideur, votre embonpoint, tous vos problèmes, achetez ceci, payez et tentez de ressembler à ceux qui existent vraiment. C’est votre dernière chance. ”

    C’est exactement ça ; les communicants, les story tellers du bifteck, les évaluateurs d’imbécilité, les constructeurs de rêves à 2 balles sont sans pitié. L’image du pauvre se suicidant devant son écran me fait rire par son exagération… Encore que.

    Chez les ados, la possession d’une paire de baskets à 500 euros (1O de prix de revient), a déjà dû générer de nombreux mort du côté de Marseille. Les Kalashs à la main, motivés par les fantômes de minettes ultra maquillées censées ne pas pouvoir résister au charme de la 308 Geupot. Braquons, suicidons nous ou mourrons, parce que je le vaut bien….

    La pub du loto est pas mal non plus, différente pour l’homme et la femme. Pour Monsieur ; un garage rempli de voitures de collection, pour Madame un couloir immense rempli de fringues de luxe et d’escarpins en peau de bêtes. La fin met tout le monde d’accord. Tous sur un bateau, un yacht dont la taille a du être soigneusement calculée.

    Le rêve absolu du gratteur fou, du cocheur de cases à la con. Votre prochain livre devait rencontrer le succès.

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  20. Le discours caricatural que voici sur la publicité comme arme de pouvoir et blablabla nous a ete sans cesse rabâché sans pour autant avoir ni modifié le comportement des consommateurs ni celui des publicitaires.
    Je trouve fort fâcheux pour un philosophe d’avoir omis un point capital: le rêve de paradis c’est le rêve de la jeunesse éternelle: on ne dit pas “vous êtes des nuls” mais on offre, schéma très classique des religions, un avenir meilleur, une forme de rêve, de dépaysement.
    De grâce, essayez de ne pas toujours aborder les problèmes par le côté négatif: une seule explication est tellement commode, mais tellement réductrice et caricaturale

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  21. J’ai 15 ans de marketing dans les pattes, je peux que plussoyer sur le fait que ce que vous dites est très vrai. Le rôle de la publicité n’est que de trouver le point d’attaque qui va nous faire succomber à l’acte de consommation, et si on multiplie cela par le nombre de marques, c’est dire à quel point nous sommes assiégés. Pour ma part, je ne supporte plus le moindre spot publicitaire télévisé et je suis en train de changer de métier.

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  22. I agree, advertising is suicide because the definition of suicide entails it is self inflicted where as being murdered is not your choice. Although the agents of advertising are murderous, whether implicitly or unimplicitely by calling it suicide it renders the onus on the human and gives them choice. You can sit in the environment of advertising and let in run its course through your veins and then corrupt your soul or you can see things as they are and shun advertising like the dirty carcass it is. The point being committing suicide is a choice.

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